Septembre 2012. Cette année, Marie ne fera pas sa rentrée. L’heure de la retraite a sonné pour elle. Institutrice de formation, elle a exercé ce métier avec passion. Et elle a décidé de continuer avec un autre public. Une rencontre fortuite lors de la journée des Associations de son quartier lui fait découvrir le monde de l’illettrisme. Elle s’enflamme. Une vocation est née. Marie se lance en formation.
A vrai dire, peu de choses. J’avais bien sûr entendu parler de cette formule. Mais je ne mettais aucune réalité derrière. Ces ateliers étaient pour moi réservés à de grands littéraires. Ce qui est loin d’être mon cas. Je les voyais un peu comme une adaptation contemporaine des cercles d’érudits de l’Ancien Régime. Autant dire que je pensais ne jamais y mettre les pieds (rires…).
Franchement, au début, j’étais un peu inquiète, je ne le cache pas car je n’ai jamais eu l’écrit très spontané. Mais l’animateur nous a d’abord demandé de nous présenter rapidement. Nous devions donc décrire notre parcours de formation, notre expérience professionnelle et présenter notre nouveau projet. C’est-à-dire expliquer ce que nous envisagions de faire à l’issue de la formation. La difficulté était d’aller à l’essentiel car nous avions deux minutes pour le faire. Mais j’y suis arrivée sans trop de difficultés. J’étais plutôt contente de moi (rires…).
Disons que les choses se sont corsées. L’animateur est entré dans le vif du sujet. Il nous a présenté l’objectif de la séance. Nous allions travailler sur un caillou. Dans un premier temps, nous devions le décrire en tant qu’objet. De manière très factuelle. Et ensuite, nous devions l’animer, lui donner vie. Et là, j’ai commencé à me sentir moins à l’aise. J’ai vraiment été très surprise par le sujet. Pour moi, un caillou, c’est un caillou. Je ne voyais pas comment disserter dessus. J’étais désorientée. Oui, je crois que c’est vraiment le terme. Désorientée.
A vrai dire mal, je ne me suis pas sentie à l’aise du tout. Je trouvais ce caillou banal, anodin. J’avais beau me creuser la tête, je ne trouvais rien à dire. J’avais l’impression d’être à court de vocabulaire. De ne pas savoir le décrire simplement. Sauf pour dire qu’il était petit, plutôt rond et gris. Autrement dit rien de bien original. C’était ma première expérience de la page blanche. Mais malheureusement pas la dernière !
Encore moins ! Mais là, le blocage était plus personnel. J’avais l’impression qu’en lui donnant vie, j’allais m’impliquer en tant que personne. Que cette vie que j’allais donner, c’était un peu la mienne ou une vie à laquelle j’aspirais. Je suis donc restée vague. En fait, j’avais peur de me livrer. De me mettre à nue devant les autres.
Oui, c’est cela même. Je savais que j’allais devoir lire à haute voix. J’avais peur du ridicule. De produire un essai médiocre. D’être à coté de ce qu’on attendait de moi. Ou au contraire d’entrer trop dans des détails personnels, intimes mêmes qui auraient amené les autres à me juger moi et non pas mon texte. Du coup, j’ai dit que je n’avais rien écrit et que je ne souhaitais pas lire. Mais c’était une solution qui n’en était pas une. Je suis sortie de cette séance déçue, frustrée et en colère contre moi.
Absolument. Mais justement, les explications étaient orales et uniquement orales. Or, j’ai besoin de visualiser les choses pour me les approprier. Pour mieux les sentir. Je pense que cette présentation orale m’a gênée. Je ne me suis pas investie, en partie, à cause de cela. J’ai bien essayé de me faire expliquer plus précisément ce qu’il attendait de nous. Mais à chaque question, l’animateur donnait davantage de détails, d’explications. J’avais l’impression que la consigne était diluée donc encore plus floue. Alors que j’aurais eu besoin, personnellement, qu’elle soit condensée, résumée. Ces précisions m’embrouillaient plus qu’elles ne m’aidaient.
Je me suis revue en classe avec mes élèves de primaire. Quand j’expliquais l’exercice à faire, je formulais les consignes de plusieurs façons. Je n’hésitais pas à répéter. Je pensais sincèrement que chaque élève avait matière à s’y retrouver. Et j’avoue que j’étais toujours surprise que certains passent complètement à côté. Sans cet atelier, je crois que je n’aurais jamais compris l’ampleur de leur désarroi. J’ai réalisé aussi la difficulté de l’apprentissage en groupe et ses limites.
Davantage de vigilance au moment de la dictée de la consigne. S’assurer que chaque élève est réceptif. Ce qui n’est pas toujours facile avec trente bambins. Et ne pas hésiter à reformuler individuellement. Oui, avec le recul, je me remettrais davantage en cause…
Propos recueillis par Agnès Charbonnier